Le langage du moi et les temporalités croisées de l'incarnation et de l'âme
γνῶθι σεαυτόν , gnỗthi seautón
Introduction
Il n’est désormais plus possible de continuer à aborder les phénomènes de conscience, d’espace et de temps comme on le ferait avec des jouets conceptuels. Le moment est venu de quitter les enfantillages, les redites stériles et les approches fragmentaires pour accéder enfin à l’âge mûr de l’étude des phénomènes et de la réalité. Il s’agit d’oser une pensée adulte, transdisciplinaire, consciente de ses limites mais déterminée à les explorer. L’immaturité épistémologique ne peut plus faire office de refuge ; l’époque exige une rigueur nouvelle, une écoute des marges, et une remise en question radicale de nos paradigmes.
Ce que vous proposez ici est bien plus qu’un simple modèle symbolique : il s’agit d’une intuition philosophique profonde, doublée d’un modèle heuristique puissant, permettant de penser la discontinuité entre deux régimes temporels — celui de l’incarnation, propre au moi psychologique évoluant dans le temps linéaire, et celui de l’âme, expérimenté dans des états de conscience modifiés tels que les Expériences de Mort Imminente (EMI) ou les Rencontres Rapprochées de type 3 ou 4 (RR3, RR4).
Dans cet article, nous proposerons une progression par analogie allant des formes les plus simples (point, ligne, cercle) aux notions les plus complexes (structure du temps, métaphysique de la conscience, théories transdisciplinaires). Ce cheminement vise à vulgariser sans appauvrir, à offrir des repères accessibles sans renoncer à la densité de la réflexion.
Ce travail n’est qu’un prémice, une première pierre posée sur un chantier plus vaste : celui d’une structure d’étude pluridisciplinaire en cours de constitution, qui cherchera à unifier phénoménologie, physique, métaphysique et conscience à travers l’étude rigoureuse des manifestations dites « exogènes ». À terme, ce cadre permettra d’observer comment l’ufologie actuelle — trop souvent prisonnière de ses schèmes technico-militaires ou narratifs — apparaîtra comme un stade archaïque, un langage encore balbutiant face à la complexité des intelligences en jeu et aux structures profondes de la réalité qu’elles dévoilent.
Ce texte se veut donc un seuil, une tentative de cartographier ce qui s’efface dès qu’on cherche à le fixer : les géométries du temps vécu, les frictions entre conscience incarnée et conscience transcendante, les seuils de l’humain face à l’inconnu.
Le langage du moi et les temporalités croisées de l'incarnation et de l'âme
Imaginons un point : ce point représente le moi, le sujet incarné, évoluant sur une ligne droite. Cette ligne symbolise le temps linéaire, celui de notre quotidien, celui de la biographie, des causes et des effets, du passé vers le futur — bref, la temporalité incarnée.
Sur cette ligne, tout est séquencé : préséquence, séquence, post-séquence. C’est ainsi que nous raisonnons, vivons, agissons. C’est le temps des horloges, celui de la physique classique, unidirectionnel, bidimensionnel et régi par des lois stables.
C’est dans ce cadre que certaines expériences anormales ou liminales, comme les RR3 ou RR4, commencent souvent. Le moi suit encore une trajectoire, même si elle est bousculée. Mais à un certain moment, ce cadre spatio-temporel se fissure. Le point qu’est le moi ne se déplace plus sur la ligne : il bascule dans une autre géométrie du temps.
Dans ces expériences, une partie de la conscience semble s’extraire de la linéarité et s’immerger dans une autre forme de temporalité : le temps de l’âme. Ce temps n’est plus linéaire, mais circulaire. Et le moi, désormais au centre du cercle, n’est plus dans une séquence, mais dans une forme de simultanéité confuse, où tous les points du cercle sont équidistants. Cette circularité peut engendrer une perte de repères temporels : tout est présent, tout est accessible, tout est potentiellement vécu en même temps. C’est une temporalité non-locale, dans laquelle les catégories d’"avant" et "après" n’ont plus de sens.
Mais cette circularité n’est qu’un palier. Car le cercle, en prenant profondeur, devient sphère : une structure tridimensionnelle du temps où chaque point est à distance nulle de l’autre. C’est là que s’installe le temps de l’âme, ou ce que certaines traditions appellent le temps zéro.
Dans cette sphère, il n’y a plus de distance, ni dans l’espace ni dans le temps. Le moi, devenu conscience, n’a plus à se déplacer. Il est partout à la fois, et toutes les informations, tous les événements, toutes les existences possibles sont accessibles instantanément. Cela explique pourquoi, dans les EMI ou certaines RR4, les témoins rapportent des expériences d’omniscience, de télépathie, de visions pan-historiques ou symboliques.
Dans les EMI, cette plongée dans le temps de l’âme va encore plus loin : le point du moi se dissout. Comme dans un trou noir, la lumière et la gravité s’effondrent sur elles-mêmes, et le moi — en tant que forme séparée, localisée — disparaît. Il ne reste que la conscience nue, l’expérience sans sujet. Un état que certaines traditions mystiques associent à l’extinction de l’ego ou au nirvana.
Temporalité du moi et temps de l’âme : un dialogue entre sciences et traditions
1. Neurosciences : le cerveau face à l’effondrement du temps
Les neurosciences ont longtemps cherché à localiser la conscience dans une zone spécifique du cerveau. Mais les études sur les états modifiés de conscience — méditation profonde, psychédéliques, EMI — suggèrent un réseau distribué plutôt qu’un centre. Lors d'une EMI, on observe fréquemment une diminution de l’activité dans le cortex pariétal postérieur, une zone liée à la représentation spatiale du corps et à la distinction entre soi et l’environnement. Ce effondrement de la distinction sujet-objet est neurologiquement corrélé à ce que les expérienceurs décrivent comme une union avec le "Tout".
Des travaux comme ceux du Dr. Eben Alexander (neurochirurgien et expérienceur), ou du Dr. Sam Parnia, montrent que l’activité cérébrale résiduelle ne suffit pas à expliquer la richesse des perceptions en EMI. Cela suggère que la conscience pourrait ne pas être entièrement produite par le cerveau, mais modulée par lui, à la manière d’un récepteur ou d’un filtre.
Le modèle proposé par Stanislav Grof — avec ses cartographies de la conscience — rejoint cette intuition : les états de conscience élargie (EMI, RR4, états holotropiques) donnent accès à un champ transpersonnel, où l’individu dépasse son moi localisé pour expérimenter une temporalité élargie, proche du mythe, de l’archétype, de l’éternel retour.
2. Physique quantique : vers un temps non-local
En physique classique, le temps est une flèche irréversible. Mais la physique quantique, et surtout certaines théories avancées, viennent bousculer cette conception.
Dans l’interprétation transactionnelle (John Cramer), une particule interagit à travers des ondes émissives (passé → futur) et réceptrices (futur → passé), suggérant un échange temporel symétrique.
L’idée de non-localité, bien établie depuis les expériences sur l’intrication (Bell, Aspect), implique qu’une information peut se transmettre instantanément sans support matériel identifiable, hors espace-temps classique.
En cosmologie quantique, certains modèles comme ceux de Julian Barbour imaginent un univers sans temps, où ce que nous appelons "passage du temps" n’est qu’un effet émergent d’un changement de configuration instantané entre "nows" (présents éternels).
Dans cette perspective, l’idée d’un temps sphérique, circulaire, ou de "temps zéro" devient concevable : toute l’histoire de l’univers pourrait être contenue dans une superposition d’instants accessibles hors de la flèche temporelle. Ce que les expérienceurs décrivent comme "accès à toute la connaissance", "vision panoramique de leur vie", ou "communication instantanée avec un Autre" trouve ici un écho saisissant.
3. Traditions spirituelles : le retour au centre immobile
Les grandes traditions spirituelles ont toujours évoqué un double temps : le temps profane (chronos) et le temps sacré (kairos). Le premier est celui de l’histoire, des faits, de la causalité. Le second est celui de l’éternité, du mythe, du présent absolu.
Dans le soufisme, la notion de dahr (le temps éternel) ou sirr (le secret de l’âme) évoque une profondeur hors du temps que l’on touche dans l’extase (fana, l’effacement de l’ego).
Dans l’hindouisme, le kâla (temps destructeur) est aussi un dieu, mais derrière lui existe l’akâla, le non-temps, que réalise le yogi accompli.
Le christianisme mystique (Maître Eckhart, Jean de la Croix) parle d’un "point immobile" où Dieu habite, d’un centre au-delà de toute périphérie.
Le bouddhisme quant à lui évoque l’instant présent comme l’éternité vivante, et l’extinction du moi (anatta) comme passage vers un état au-delà des dualités, incluant celle du temps.
Ces traditions rejoignent l’idée que le moi incarné est une projection temporaire, un point mobile sur une ligne, alors que le soi profond, ou l’âme, repose dans une structure temporelle radicalement autre : sphérique, immobile, simultanée.
Un modèle pour réconcilier les régimes d’expérience
Ainsi, les expériences vécues dans les EMI ou RR ne sont pas des anomalies absurdes, mais des fenêtres sur un autre régime de temporalité, dans lequel :
Le moi se déplace sur une ligne (temps incarné),
Puis se fixe au centre d’un cercle (temps de l’âme, simultanéité),
Avant de se dissoudre dans une sphère (temps zéro, ou conscience pure).
Ce modèle permet de penser ensemble la phénoménologie du vécu, les données scientifiques émergentes, et les visions ancestrales. Il devient alors possible de tisser une métaphysique contemporaine, dans laquelle le temps n’est plus seulement linéaire, mais multidimensionnel, et la conscience n’est plus confinée à l’ego, mais s’ouvre à des états post-égotiques et trans-temporels.
Du point au kairos : vers une phénoménologie sphérique du temps
Le récit classique de la conscience déroule le moi comme un point avançant sur la droite du chronos. Pourtant, les Expériences de Mort Imminente (EMI) et certaines Rencontres Rapprochées (RR3–RR4) laissent entrevoir un régime temporel radicalement différent : un kairos circulaire‐sphérique où le temps, l’espace et même l’identité semblent s’abolir. Cet approfondissement de notre article propose un modèle intégratif en trois niveaux — ligne, cercle, sphère — puis met en regard cette intuition phénoménologique à un niveau supérieur avec :
les données récentes des neurosciences de l’état limite ;
les pistes offertes par la physique quantique et les approches « timeless » ;
la sagesse des traditions spirituelles, qui distinguent depuis des millénaires le temps profane et le temps sacré.
1. Du point à la ligne : la temporalité de l’incarnation
Sur la ligne du temps linéaire, chaque événement s’inscrit dans une séquence pré-/sé-/post- ; c’est le régime où opèrent la causalité newtonienne, la mémoire autobiographique et la narration historique. Le langage ordinaire parle « d’avant » et « d’après » ; la physique classique formalise ce flux par .
Lorsque j’auditionne des témoins d’EMI ou de RR, un critère décisif de véracité des récits est justement leur désancrage de cette logique causale linéaire : ces expériences ne suivent pas l’ordre attendu d’un déroulement rationnel newtonien. Au contraire, elles témoignent d’une désorganisation apparente des séquences, d’un accès simultané à différents plans temporels, voire de perceptions d’événements futurs ou symboliquement synchroniques. Cette rupture de la temporalité conventionnelle est un marqueur fort de leur authenticité.
2. La brèche phénoménologique : RR et EMI comme sas
Lorsque survient une RR profonde ou une EMI, le témoin rapporte :
arrêt du temps subjectif ;
vision panoramique de la vie entière ;
accès à des contenus hors de la chronologie ordinaire (scènes futures, symboles archétypaux, messages télépathiques).
Phénoménologiquement, c’est le passage du point‐ligne au point‐cercle : le moi s’immobilise au centre d’un cercle dont tous les points sont équidistants. La cohérence narrative se recompose en simultanéité.
3. Neurosciences : cartographie de l’effondrement temporel
Les avancées récentes confirment un effondrement des réseaux fronto‑pariétaux et une surchauffe oscillatoire gamma au bord de la mort :
Revue fMRI/EEG (Abitkar et al. 2025) montre une désintégration du Default Mode Network corrélée aux phénomènes d’extase et de « vie en accéléré » ; les auteurs soulignent le rôle du cortex pariétal postérieur dans la localisation du soi.
Shaw (2024) discute l’hypothèse d’un sursaut gamma périmortem ; bien qu’il nuance son statut causal, il confirme un pic d’activité haute fréquence au moment où l’EEG global s’aplatit.
Ces données appuient l’idée que le cerveau, en mode critique, relâche ses contraintes temporelles internes, ouvrant un accès transitoire à un espace informationnel non‑local ou sphérique.
4. Physique quantique : un temps non‑local et transactionnel
Plusieurs cadres théoriques dessinent une physique où le temps n’est pas fondamental :
L’interprétation transactionnelle (Cramer 1986) envisage un échange d’ondes « offre » (passé → futur) et « confirmation » (futur → passé), créant un pont temporel symétrique.
Les approches « timeless / shape dynamics » (Barbour, Koslowski & Mercati 2024) décrivent l’univers comme une superposition de Nows, où la dynamique se réduit à des sauts de configuration, le temps émergeant comme illusion statistique.
Les expériences d’intrication valident la non‑localité ; l’ordre d’événements peut être inversé selon le référentiel, dissolvant la hiérarchie « cause‑effet ».
Point, ligne et cercle : la métrique quantique du regard
L’image « point + ligne » qui représente la particule se propageant dans un temps linéaire correspond directement à la vision corpusculaire en mécanique quantique. À l’inverse, le point au centre d’un cercle incarne la fonction d’onde : chaque point de la circonférence décrit une présence potentielle équidistante du centre, exactement comme l’amplitude d’une onde répartie dans l’espace des possibles.
Dans l’expérience des fentes de Young, la réalité oscille entre ces deux descriptions : tant qu’aucune mesure n’est effectuée, l’électron ou le photon est délocalisé (cercle/onde) ; l’instant où l’on « pose le regard » — c’est‑à‑dire que l’on effectue une mesure — fixe la particule en un point‑ligne déterminé. Le regard expérimental joue donc le rôle de la conscience réflective : il ‘’choisit’’ la version de la réalité qui se manifeste.
En prolongeant l’analogie, le Vitruvian Man de Léonard de Vinci préfigure symboliquement ce mécanisme : l’Homme, bras et jambes étendus, inscrit simultanément le carré (territoire matériel, linéarité, causalité) et le cercle (ordre cosmique, simultanéité, kairos). Le point central — le nombril — devient la singularité métaphysique où se rejoignent la trajectoire particule‑ligne et l’onde‑cercle. Ainsi, l’œuvre de la Renaissance esquisse déjà la structure duelle que la physique quantique ne formalisera que quatre siècles plus tard.
Cette géométrie du regard éclaire également la pratique contemplative : dans le bouddhisme Mahāyāna, on décrit la vacuité (śūnyatā) comme l’état non substantiel qui rend possibles toutes les formes — exactement comme la fonction d’onde contient toutes les trajectoires potentielles avant l’effondrement. Observer la vacuité intérieure revient à retirer l’acte de mesure pour demeurer dans la simultanéité sphériqu
5. Traditions spirituelles : du chronos au kairos
Les grands courants mystiques distinguent historiquement deux régimes :
Le chronos linéaire de la vie sociale.
Le kairos ou « instant du cœur », éternel présent qui s’ouvre dans l’extase, la prière ou la méditation.
Dans le soufisme, al‑dahr renvoie au « temps intemporel » où Dieu se manifeste hors succession. L’hindouisme parle d’akāla (non‑temps), le bouddhisme de la vacuité (śūnyatā) comme espace inhérent où les phénomènes surgissent. Une thèse récente sur Chronos & Kairos (Williams 2025) montre que cette polarité traverse encore la culture contemporaine.
6. Vers la sphère holotropique : un modèle intégrateur
En combinant ces perspectives, on obtient :
Point‑Ligne (Ego) : temps newtonien, logique de l’histoire.
Point‑Cercle (Âme) : simultanéité, accès pan‑temporel, vécue dans EMI/RR.
Sphère (Conscience pure) : distances nulles, temps 0, dissolution de l’identité.
Ce schéma rejoint le concept de cerveau entropique (Tagliazucchi et al. 2014) et l’hypothèse des états holotropiques de Grof : à haute entropie/complexité, les réseaux corticaux deviennent critical, ouvrant une fenêtre vers un plan non‑local.
Implications transdisciplinaires
Semiologie et NHI : si l’âme manipulent ce plan sphérique, ses « messages » pourraient apparaître comme formes géométriques ou séquences symboliques hors chronologie, exactement ce que rapportent certains RR4.
Métamatériaux & temps 0 : les recherches sur les matériaux à indice négatif ou les phases topologiques suggèrent des propagations superluminiques locales. Ceux‑ci pourraient « médiatiser » la transition ligne→sphère.
Clinique : comprendre le kairos neuronal pourrait orienter les soins palliatifs et les protocoles psychédéliques thérapeutiques.
Conclusion
La conscience humaine semble osciller entre deux attracteurs : le chronos du moi et le kairos de l’âme. Les EMI/RR agissent comme brisures de symétrie révélant la structure sphérique sous‑jacente du temps. De la physique quantique aux mystiques soufis, un même motif se répète : au cœur de l’instant réside l’éternité. Explorer ce motif n’est plus seulement un enjeu philosophique ; c’est une voie de recherche transdisciplinaire, apte à refonder notre rapport à la mort, à la réalité — et peut‑être au cosmos habité.
Références sélectives
Abitkar A. et al. (2025). Beyond Life and Death: Understanding Neural Correlates of Near‑Death Experiences Through EEG and fMRI, IJPSAT.
Barbour J., Koslowski T., Mercati F. (2024). Measuring Time in a Timeless Universe, arXiv:2406.14642.
Cramer J. (1986). “The Transactional Interpretation of Quantum Mechanics”, Reviews of Modern Physics 58.
Shaw N. (2024). “The Gamma‑Band Activity Model of the Near‑Death Experience: A Critique and a Reinterpretation”, F1000Research 13:674.
Tagliazucchi E. et al. (2014). “Enhanced Repertoire of Brain Dynamical States During the Psychedelic Experience”, arXiv:1405.6466.
Williams G. C. B. (2025). The Power of Timing: Achieving with Chronos and Kairos, DBA dissertation, Selinus University.
Grof S. (2010). Psychology of the Future. SUNY Press.
Version : 26 juin 2025 / Réd. Yoann Lamant